Il y a 9,5 ans, j'ai rejoint Tres Hombres en tant qu'apprentie. Du Portugal au Brésil avec 0 émission, un moyen pour parvenir à une fin, une aventure de deux mois. Mais Tres Hombres m'a complètement envoûté. Elle m'a fait découvrir mon amour pour la mer sous un nouveau jour. J'ai trouvé une forme d'activisme que je peux pratiquer avec l'esprit tranquille et le coeur rempli de joie. J'ai rejoint une communauté où des liens forts se forment à travers la façon dont nous vivons et travaillons ensemble.

De nombreuses années se sont écoulées, de nombreux milles ont été parcourus, mais je n'ai jamais terminé mon cercle transatlantique avec Tres Hombres et j'ai l'impression que c'est quelque chose qu'il me reste à faire : charger la cargaison dans les îles jusqu'à ce que la cale soit pleine puis traverser de nouveau l'océan à la voile, mission accomplie. Un voyage qui signifiait déjà beaucoup pour moi avant même qu'il ne commence.

Mais ce n'est pas tout. Les femmes sont notoirement sous-représentées dans l'industrie maritime, puisqu'elles ne représntent que 1 % des marins dans le monde. Et bien que nous fassions beaucoup mieux que cela dans notre bulle de cargo à voile, nous sommes généralement encore en minorité. En outre, un schéma bien connu prévaut : plus on monte dans la hiérarchie, moins on trouve de femmes. Mais cet hiver à bord de Tres Hombres est différent. Nous avons une majorité de femmes à bord, avec une part de 70 % dans l'équipage professionnel. Nous avons une capitaine, une première officière, une maître d'équipage, deux marins et trois à quatre apprenties.

Pour nous à bord, naviguer sur le bateau avec cet équipage au quotidien ne semble rien d'autre que normal. Ce sont les interactions avec le monde extérieur qui nous rappellent régulièrement cette situation inhabituelle. Nous le voyons dans les visages perplexes des lamaneurs lorsque nous entrons dans un port commercial. Nous le voyons dans la confusion du douanier qui s'adresse par défaut à l'homme le plus âgé avec la plus grande barbe dans sa recherhce du capitaine, avant de s'apercevoir que c'est à la jeune femme d'à côté qu'il a à faire.

Mais notre dynamique interne est également différente de celle que j'ai pu expérimenter avec d'autres équipages. Ensemble, nous maintenons un environnement où nous pouvons mettre en valeur nos compétences et partager nos connaissances sans entrer en compétition. Où les opportunités d'apprentissage sont distribuées de manière équitable. Où nous réussissons car nous ne craignons pas l'échec. Où nous pouvons être nous-mêmes sans crainte d'être jugées et où nous avons la possibilité de nous dépasser. Nous déployons nos ailes, sans avoir besoin de nous rétrécir ou de nous cacher. Dans un environnement où le respect mutuel est la règle et où les conneries chauvines sont absentes, nous trouvons la paix et la liberté. Nos esprits s'élèvent, notre créativité jaillit, nos rires résonnent et nos flammes brillent intensément.

Maintenant, nous sommes en route vers la maison, où de nouveaux chapitres et de nouveaux défis nous attendent. Un marin est un être épuisé à la fin d'une traversée de l'Atlantique Nord, mais sous la fatigue, j'emporte avec moi une immense force de cette expérience, une source d'énergie et d'optimisme pour l'avenir.

Merci.